Interview avec Joseph Schechla, Coordinateur HIC-HLRN

La Coalition internationale Habitat (HIC) est une alliance indépendante, internationale et à but non lucratif, qui regroupe quelque 400 organisations membres, centres universitaires, mouvements sociaux et individus travaillant dans le domaine des établissements humains dans plus de 100 pays. Le Réseau des droits au logement et à la terre (HLRN) est la structure de la HIC qui promeut la dimension des droits humains du Programme des Nations Unies pour l`Habitat. Il se consacre au suivi, à la mise en œuvre et au développement des droits humains à un logement et à une terre adéquate en tant que normes de droit international.

CENTRAIDER : Si nous sommes tous d’accord sur les valeurs et les projets de développement auxquels le sport contribue, il est important également de connaître, éviter et résoudre les conséquences négatives que l’organisation de grands évènements sportifs peut avoir. Que pouvez-vous nous en dire ?

JS : Ce sujet n’est pas nouveau et en cherchant à actualiser mes données en allant jusqu’aux Jeux de Paris 2024, ce qui est le plus marquant est la récurrence des conséquences négatives de l’organisation des grands événements sportifs, malgré les dénonciations qui peuvent en être faîtes à chaque fois.

Mon expérience autour des méga-événéments est parallèle à celle de HIC, la Coalition Internationale pour l’Habitat, puisque je l’ai rejointe en 1989 et c’était la première fois qu’un rapport réellement critique sur les conséquences de la préparation des JO était publié, suite aux Jeux de Séoul de 1988. 720 000 personnes avaient été ex[1]pulsées de leur logement pour « embellir » la ville, mettre en œuvre des projets de rénovation urbaine et attirer les investissements. Cela fait donc plus de 35 ans que l’on connaît les conséquences possibles de l’organisation de ce genre d’évènements mais nous n’avons toujours pas adopté de normes spécifiques pour les éviter.

En 1996, lors des Jeux d’Atlanta, la pauvreté a été criminalisée et les personnes pauvres, pour beaucoup des afro-américains, ont été expulsées du centre-ville. Ce fut le dé[1]but d’un grand mouvement des sans-abris aux Etats-Unis. À Athènes en 2004, ce sont les communautés Rom qui ont été visées par des expulsions à grande échelle. Avec les Jeux de Beijing en 2008, on a estimé à 1,5 million le nombre de personnes déplacées. La grande majorité était des migrants internes, donc des citoyens chinois venant généralement des campagnes. A cette occasion, le fait de vivre ou travailler à Beijing sans y être officiellement résident est de venu un délit, ce qui créa la base juridique pour de nombreuses expulsions forcées. Le Comité International Olympique (CIO) n’a commencé à prêter attention à ces conséquences récurrentes que beaucoup plus tard, après beaucoup de mauvaise publicité. Les droits de l’homme et les questions éthiques font maintenant partie des contrats signés avec les pays organisateurs mais il n’existe pas de suivi efficace. Puis il y a eu ce terrible scandale de corruption au sein du CIO, qui n’a donc pas bonne réputation.

Il faut bien comprendre que ce genre de conséquences se retrouve autour de l’organisation de bien d’autres évènements, que ce soit des grandes conférences internationales ou même des concours de beauté. De nombreux évènements deviennent des rai[1]sons ou des prétextes pour « embellir » une ville et en expulser les populations jugées indésirables ou que l’on ne veut pas voir là. Par rapport aux évènements sportifs, on a cette opportunité de rassembler les gens, de rapprocher les peuples, mais on retrouve constamment cette contradiction avec ce qui se passe autour de leur organisation. A chaque fois, des populations sont déplacées ou expulsées, et puis il existe d’autres conséquences qui peuvent varier et sont moins visibles.

CENTRAIDER : Pouvez-vous nous parler de ces autres types de conséquences observées du fait de l’organisation de méga-événements ?

JS : Oui, on peut recenser des conséquences spécifiques à chaque évènement :

• Jeux de Barcelone de 1992 : l’inflation des prix sur le marché immobilier. Entre 1986 et 1993, les prix de vente ont augmenté de 139% et celui des locations de 145%. 59 000 résidents ont quitté Barcelone parce qu’ils ne pouvaient plus payer leur loyer ;

• A Salt Lake City (2002) et Vancouver (2010), pour les Jeux d’hiver, des milliers de logements sociaux ont été convertis en hôtels et les résidents ont dû aller vivre ailleurs ;

• A Delhi, en 2010, des centaines de millions de dollars ont été payés à la compagnie qui avait obtenu le contrat pour développer plusieurs parties de la ville de Delhi pour les Jeux du Commonwealth. Cela a représenté la plus grande dette au secteur privé que l’Inde ait contractée et les fonds pour la rembourser ont été en partie prélevés sur des financements destinés à des projets sociaux pour combattre l’extrême pauvreté ;

• A la Coupe du Monde de Doha en 2023, il n’y a pas eu d’expulsion du fait de la très basse densité de population au Qatar, laissant beaucoup d’espace pour de nouvelles infrastructures qui, en outre, ont été construites en modules possibles à transporter et réutiliser ailleurs. Par contre, en plus des questions écologiques qui ont été soulevées, il y a eu une utilisation massive de travailleurs migrants peu payés et sans protection. Selon l’OIT, 50 sont morts et 500 ont été gravement blessés sur les chantiers.

CENTRAIDER : Et dans le cas des Jeux de Paris 2024 ?

JS : L’avantage en France est que de nombreuses infrastructures existent déjà donc il n’y a pas besoin d’avoir recours à des expulsions forcées à grande échelle pour en construire de nouvelles. Il y a néanmoins des conséquences sur le marché immobilier et certains des quartiers impactés comme à Saint Denis. Et puis sont répertoriés des cas d’exploitation de migrants sans papiers comme main d’œuvre sous-payée, des ex[1]pulsions de communautés Rom et celles de nombreux migrants et réfugiés qui vivaient dans des tentes à Paris et sont expulsés vers d’autres régions.

On a beaucoup parlé des 80 demandeurs d’asile qui campaient près de l’Hôtel de Ville à Paris. Ils ne vivaient pas dans un endroit habitable donc ils auraient été expulsés un jour ou un autre, mais ce qui se passe pendant les préparatifs de tels évènements, c’est que les expulsions se font à une toute autre échelle pour « embellir » la ville-hôte et laisser place aux festivités. Dans le cas des Jeux de Paris 2024, cela contredit la promesse qu’ils seraient les plus inclusifs de tous. Le collectif « Le revers de la médaille » répertorie toutes ces conséquences mais fait également des propositions pour aller vers un héritage social positif des Jeux.

En tout cas, personne ne semble parvenir à faire en sorte que ces évènements soient positifs pour tous.

Et puis il y a des choses inexplicables, par exemple le fait d’inter[1]dire aux athlètes françaises musulmanes de porter le voile. C’est totalement idéologique, cela vise un groupe en particulier, n’a aucune justification réelle et n’a rien à voir avec les valeurs olympiques (excellence, respect et amitié).

CENTRAIDER : Existe-t-il une organisation qui recense systématiquement les conséquences négatives de tous les grands évènements ?

JS : Non pas vraiment. Human Rights Watch a un répertoire d’études. Le Centre pour les Droits des Roms, basé à Budapest, a aussi des rapports, mais je ne connais personne qui observe toutes ces conséquences systématiquement, au cours de tous les évènements. Et c’est bien là le problème. Parce qu’il s’agit d’évènements périodiques, ils n’arrivent jamais au niveau des débats de politiques nationales ou internationales. A chaque fois, des collectifs d’associations locales se mobilisent puis l’évènement se termine et se répète ailleurs. Au vu du nombre d’évènements organisés chaque année, c’est un champ critique d’engagement. Il faut rendre ces sujets plus visibles et constants dans les débats.

Il faut aussi bien voir qu’on ne part pas de rien. Il existe des normes de droit international sur lesquelles on peut se reposer pour améliorer nos pratiques, par exemple les critères qui définissent ce qui constitue une expulsion légale et légitime, comme le fait d’informer en amont, de discuter les compensations avec les personnes affectées et d’obtenir leur consentement, entre autres. Tous les Etats signataires du Pacte International pour les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, ont une obligation légale de suivre ces critères, et cela permettrait d’éviter de nombreuses violations des droits de l’homme. Il en existe d’autres, toutes reconnues mondialement, parfois par acclamation, mais qui sont très facilement oubliées lorsque c’est le moment de les mettre en application.

CENTRAIDER : Une conclusion ?

JS : Nous ne partons pas de rien. Il faut que l’attention sur les conséquences négatives des grands évènements soit systématique et continue, que l’on apprenne du passé et que l’on utilise les normes existantes pour que les méga-évènements, et surtout les Jeux, soient vraiment ceux de tous.

Interview original

Photo on front page: Crowd filling a stadium at a sporting event. Anna Sullivan / Unsplash.com. Photo on this page: French police française evict migrants from a squat in a disused industrial building in l`Île-Saint-Denis, near Paris, not far from the Olympic athletes’ village, 26 April 2023. Source: Layli Foroudi/ Reuters.

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